9.1.07

Pensées éparpillées et caféinées

Si elle était toujours vivante, Simone de Beauvoir fêterait aujourd’hui son 99ème anniversaire. En son honneur, je porte aujourd’hui mon veston vintage avec des patchs de suède noir sur les coudes et j’ai vernis mes ongles en rouge bourgogne. Disons que j’avais du temps à perdre et envie de donner à cette journée calme un peu de son pouvoir mythique.



(Je parle de « mythic power » parce que je suis en train de terminer la lecture de The Garneau Block, un bouquin de Todd Babiak, un gars d’Edmonton qui allait à l’université en même temps que moi. Je vous en reparlerai dans mon blog dès que je l’aurai terminé.)

Je pense donc au Castor et je réfléchis. Je regarde autour de moi. Les gens qui marchent et traversent la 99ème rue. Je pense que le café pour emporter est devenu la nouvelle cigarette. Personne ne fait plus deux pas sans auparavant aller se procurer ce fameux grand latte ou ce légendaire moccachino caramel. Un café sucré dans un grand verre de carton blanc. Pour emporter. Le grand verre de carton blanc a remplacé la pré-roulée blanche, il est porté aux lèvres plusieurs fois par jour, trimballé à la main comme la nouvelle commodité, la nouvelle source de réconfort, la nouvelle dépendance, le nouveau look tendance qu’il faut avoir sur soi. Une drogue en a remplacé une autre, une nouvelle habitude a été mise en marché par des corporations qui en font les nouveaux frais, de nouvelles générations de cultivateurs sont exploitées. Partout, on voit les buveurs de Starbucks, verre de carton blanc à la main quand ils marchent sur l’avenue Whyte, ou dans leur chariot d’épicerie quand ils font leur Safeway, ou dans le porte-breuvage de leur voiture quand ils roulent en solitaire vers leur lieu de travail. On ne peut plus s’en passer.

Remarquez que, contrairement au tabac, le café, s’il n’est pas consommé en quantité industrielle et si on le boit sans gras et sans sucre, est sans danger pour la santé. Selon certains chercheurs, il a même des propriétés bénéfiques pour celui qui l’absorbe : antioxydant et éclaircisseur d’esprit. J’aime le croire, car j’adore le café, moi aussi. Mais je préfère le savourer assise, en lisant, en écrivant, ou en parlant avec quelqu’un. Et je sais, je suis une snob qui se prend pour une Européenne : je ne bois que des espressos. Un par jour. Jamais plus, sinon j’ai les shakes. Le café filtre, ça me donne des gargouillis dans les boyaux. Alors je m’abstiens.

Évidemment, oui, moi aussi je préférerais ne consommer que le café de commerce équitable et de culture biologique, mais ce n’est pas toujours possible. Alors j’essaie de favoriser les entreprises indépendantes et d’éviter les chaînes commerciales. Pas toujours facile, surtout quand Edmonton commence à ressembler à Vancouver, avec un Starbucks à tous les coins de rues.

Je rêve à ces sociétés de café qui régnaient dans les siècles passés en Europe (eh oui, encore l’Europe). Berceaux des grandes révolutions, refuges des artistes, les gens se retrouvaient dans les cafés pour refaire le monde, faire des rencontres, partager leurs idées. (Simone de Beauvoir a écrit la plupart de ses oeuvres dans les cafés du boulevard Saint-Germain.)



J’ai beaucoup réfléchi là-dessus en faisant mon documentaire sur les centres d’achats… Dans nos sociétés nord-américaines, à cause de la configuration des quartiers résidentiels, de la grande superficie des villes, du phénomène des banlieues, du climat difficile en hiver, du règne de la voiture aux dépens de la marche, la vie de quartier n’existe pratiquement pas. Pas de rituel de café du matin pour partir la journée comme en Italie, ni la culture de l’apéro comme en France, où les gens se rencontrent au bistro pour prendre un verre après le travail.

J’ai la chance de vivre dans le quartier du vieux Strathcona, à 15 minutes à pied des restos, des théâtres et des boutiques de la Whyte, là où il y a encore des caféinomanes qui fréquentent des cafés. Mais, trop souvent, ils se cachent derrière un journal ou leur écran d’ordinateur. Je sais, c’est ce que je fais tout le temps. Mais parfois, j’ai quand même la chance (surtout depuis qu’il y a le Wild Earth à deux coins de rue de chez moi) de tomber sur un ami ou une voisine et quand nous avons le temps, nous sirotons ensemble un café qui n’a pas été servi dans un grand verre de carton blanc. Nous prenons le temps de discuter et nous refaisons le monde. Assis. Comme si nous étions sur le boulevard Saint-Germain...

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