25.10.12

Missionnaire du fait français?


Déménager. Déménager pour aller vers l'Est, inévitablement, pour nous rapprocher de nos familles et nous permettre de voyager ailleurs qu'au Québec ou en France lorsque nous avons quelques économies et quelques jours de vacances. Mettre le cap vers l'Est, mais pour se poser où, exactement? Comme il était hors de question de rester dans les prairies (peu intéressés à changer "quatre trente-sous pour une piasse") et qu'Ottawa ne nous disait rien, Toronto s'est retrouvée pendant un moment au top de notre liste. Toronto, la mal-aimée. Un peu comme Edmonton. Tout le monde déteste Edmonton. Surtout ceux qui n'y ont jamais mis les pieds. Tout le monde déteste Toronto. Tout le monde, sauf ceux qui y vivent. Des villes qu'on adore haïr, qu'on sous-estime, qu'on connaît mal. C'est peut-être pour ces raisons que nous sentions naître quelques affinités avec la Ville Reine.
Elle répondait aussi à notre besoin de dépaysement, notre soif de la grande ville. Toronto. Le New York du Canada. Une métropole vibrante. Un pôle culturel. Un bassin artistique. Une ville en pleine effervescence. Et une excellente plaque tournante pour les voyages. Toronto...  Oui...?
Mais... non. Car j'ai dû me rendre à l'évidence et reconnaître une de mes plus grandes contradictions. J'aime vivre dans un endroit où j'ai le sentiment d'être en voyage mais pour gagner ma vie, il faut que je puisse vivre en français.
Je suis un être d'expression. Je dois exprimer qui je suis pour garder mon équilibre. J'ai mis du temps à le comprendre, mais maintenant je ne peux plus faire autrement. Écrire, raconter, parler, interpréter, chanter, faire rire. Grâce aux mots. Grâce au langage. Je suis un être d'expression... française. Je suis viscéralement et immanquablement liée à ma langue maternelle. C'est mon identité, c'est ma culture, c'est mon mode de vie. Et de survie.
Voilà pourquoi j'ai été parfaitement heureuse pendant si longtemps, ici, à Edmonton. J'ai pu vivre et travailler et m'épanouir en français. Animation culturelle, arts de la scène, écriture, événements, rassemblements, communauté et politique, amours et amitiés. En français. Dans un milieu minoritaire. Menacé. Précaire. Francophone minoritaire. Ça a été ma passion, ça a été ma cause. Missionnaire du fait français?
J'ai trouvé ma raison d'être dans la petite île de la francophonie albertaine. Une île accueillante, généreuse. Une île toujours en train de changer de forme. Une île qui s'adapte comme elle peut. Mais sur une île, après un moment, il arrive qu'on tourne en rond. Ou qu'on fasse du sur place.
Alors j'ai envie de plonger et de patauger dans une mer de francophones, j'ai besoin de prendre un grand bain de culture, au risque de partir à la dérive.
Je vous mentirais si je vous disais que je ne rêve pas de faire la grande traversée. De vivre en Europe. Avec mon Breton de mari, nous savons qu'un jour nous ferons un séjour prolongé de l'autre côté de l'Atlantique. Mais ce moment n'est pas encore venu.
Nous ne déménageons donc pas à Toronto. Pour le moment, nous allons faire le crawl jusqu'à Montreal.
Oui, je sais. Les missionnaires du fait français ne chôment pas à Montréal. Je m'apprête donc à flotter d'une île à une autre.

17.10.12

Ne jamais dire jamais


L'histoire de mon exil doré est assez commune. Banale, même. Comme bien des Albertains d'adoption, ça se résume à cette anecdote: "j'étais partie pour x mois et, x ans plus tard, je suis encore ici..." Seuls les nombres changent.
Comme je vis à Edmonton depuis 18 ans, certaines personnes présumaient que je resterais ici définitivement, que je ne partirais plus.
Je n'ai jamais dit que je quitterais Edmonton un jour. Je n'ai jamais dit que j'y resterais toute ma vie. Je n'ai jamais dit que je ne retournerais jamais au Québec. Je n'ai jamais dit que je ne pourrais pas envisager mourir en Alberta. Je ne savais pas. Je ne sais qu'une chose: il ne faut jamais dire jamais.
Cependant, j'ai toujours pensé que si je quittais Edmonton un jour, ce serait pour m'installer dans un autre "ailleurs". J'aime avoir le statut d'étrangère. J'aime être dépaysée. J'aime être déracinée. J'ai épousé un autre expatrié. Pour faire équipe avec quelqu'un qui privilégiera toujours sa liberté de mouvement à une sécurité financière restreignante ou un confort engourdissant.
J'ai toujours pris la vie une année à la fois. Quand on est pigiste, ça va un peu de soi. Je n'ai pas de five year plan. Je suis incapable de prévoir à long terme. C'est ma nature d'exilée volontaire, c'est ma nature de bohème.
Alors pourquoi Montréal si j'ai encore soif de dépaysement?
Et est-ce que je reviendrai un jour à Edmonton?
Il ne faut jamais dire jamais.

9.10.12

La nouvelle.


Cet été, j'avais le projet de recommencer à publier des textes sur ce blogue. La trotteuse était en plein road trip, ça semblait donc tout naturel de raconter le périple transcanadien et les pérégrinations trippeuses au fur et à mesure.
Mais c'était comme si un gros éléphant rose évaché sur mon clavier m'empêchait d'écrire, m'obligeait à tourner autour du pot et, finalement, à ne jamais appuyer sur la touche publish.
Avant de tout déballer sous forme de chronique ou de journal, je sentais qu'il fallait d'abord annoncer la nouvelle. LA nouvelle. Alors la voici (pour ceux et celles qui ne le savent pas déjà): je déménage. Avec mari, chat et bien du bagage, on ramasse nos pénates, on lève le camp, on décampe... oui, c'est ça, on déménage.
À la fin du mois de décembre, ce ne sera pas la fin du monde, mais ce sera certainement, pour moi, the end of an era, mon propre B'aktun 13 maya. Je quitterai Edmonton, cette ville d'adoption où j'ai vécu les 18 dernières années de ma vie, pour retourner vivre dans l'est du pays, dans la province qui m'a vu naître. J'élirai domicile dans une ville tout à fait géniale, oui, je sais, je ne suis pas très originale, comme Mamzelle Moffatt, je reviens à Montréal.

Je sais qu'il est temps de partir depuis longtemps, mais la décision devait s'incarner, prendre place dans tous les pores de la peau, dans les organes et dans les os, avant de pouvoir s'articuler.
Voilà peut-être pourquoi j'ai mal partout depuis des mois, dans le bas du dos, dans le cou, dans les doigts.
C'est un changement qui doit se propulser par le corps, c'est une transition hard core, qui maghane et endolore.
Entre le moment décisif, celui où l'intellect reçoit enfin le message, et la première intuition de ne plus se sentir à sa place, il y a inévitablement une longue période d'inconfort.
L'impression d'avoir le cul posé entre deux chaises, un déséquilibre, un malaise, une zone pas nette. Un no human's land, un arrêt sur image.
L'attente du signal de la fée clochette.
Le temps de se lécher le doigt, avant de pouvoir enfin tourner la page.

Alors, voilà. Let's start packing.
Et faisons le ménage. Un tri, un dépouillement et, en même temps, le bilan d'un pan de vie, avec le sentiment d'un certain travail accompli et le désir ardent de courir vers d'autres défis.