2.7.09

1983

Automne 1983. J’ai 10 ans.

Les murs de ma chambre sont tapissés depuis quelques années de posters géants d’un certain chanteur américain, beau jeune homme noir aux traits fins, portant manteau de cuir de rouge, cheveux en boucles souples et lunettes d’aviateurs. Sa musique, ses vidéos, ses pas de danse me rendent fébrile. Je ne connais pas le show business, je n’ai pas encore de culture musicale, mais la performance à son meilleur, ça ne laisse personne indifférent. Même à 10 ans.

La sortie de Thriller, un vidéo de 14 minutes de Michael Jackson, est annoncée depuis quelques jours. Ma cousine Caroline et moi sommes impatientes et énervées. Nous sommes probablement les deux plus grandes fans de MJ de toute la rue Clermont à Trois-Rivières-Ouest! Le grand soir arrive, nous sommes scotchées à l’écran. Le mini-film commence, on l’annonce dès la première image, c’est le « Michael Jackson’s Thriller », personne d’autre (même si un certain John Landis l’a réalisé). Le beau Michael dans un look rétro des années 50, une jolie minette à ses côtés, qu’est-ce qu’ils disent? On ne comprend pas tout, notre anglais s’améliore d’année en année à force de regarder The Cosby Show et Familiy Ties, mais il faudra demander à papa Gaétan de nous traduire. Et puis… Ah! Michael se change en loup-garou! Et puis… oh! Mais non, ils étaient au cinéma. Et la musique commence… Ah… Michael. Il danse autour de Ola qui marche de façon sexy, on admire leurs fringes 80’s, les manteaux de cuir, les pantalons ajustés, les loafers. 14 minutes de bonheur, car il danse, il danse! Ils dansent tous tellement bien! Et les morts-vivants aussi, mais on n’a même pas peur, c’est du pur divertissement! D’ailleurs, tout ça n’est qu’un mauvais rêve. Michael Jackson n’est pas un monstre, voyons! And so we thought…

Combien de fois avons-nous regardé le « Making of Michael Jackson’s Thriller » dans le sous-sol de la maison de Caro? Toujours fascinées par les chorégraphies, par les maquillages et les effets spéciaux, toujours fascinées par lui, oui, avant tout, éblouies par ce phénomène, cet artiste génial qui créait et performait depuis l’enfance, si jeune encore. Je me rappelle que mes frères et mes cousins nous taquinaient beaucoup, Caro et moi, d’être fans de Michael Jackson. Il avait l’air d’une tapette, il n’était même pas beau, il avait une voix de fille, etc… Notre fascination pour Michael Jackson n’avait rien de sexuel, il ne s’agissait pas d’un béguin pour une vedette masculine, c’était d’un autre ordre. On voulait le voir danser, on voulait l’entendre chanter, parce qu’on était bouleversé par sa « présence » sur scène, par son intensité, par son talent, par son génie. Parce que c’était un génie.

Les années ont passé, MJ faisait toujours de la musique, transformait peu à peu son visage et sa peau, Caroline et moi avons vieilli, la fascination s’est estompée, on suivait notre ancienne idole de loin, sur les magazines people et les émissions à potins. L’enfant prodige, l’homme-enfant, la bête de scène, la bête de cirque, le monstre sacré, le monstre tout court, la victime d’une enfance sacrifiée, le génie auto-destructeur…

La vie a de ces drôles de façons de boucler les boucles. Ma cousine Caroline est venue me visiter en Alberta la semaine dernière pour une première fois depuis que je vis ici. À notre retour de Jasper jeudi soir, en allumant la radio dans la voiture, on entend la fin de la chanson Man in the Mirror. On lève le son, bien sûr, et on chante, de bonne humeur. Puis l’animateur nous apprend que Michael Jackson est décédé ce matin-là.

De retour à Edmonton, on s’est installé devant la télé branchée à mon ordinateur portable et on a regardé ensemble sur YouTube le documentaire « The Making Of Michael Jackson’s Thriller ». C’est comme si on était retourné 25 ans en arrière, dans le sous-sol en tapis de la rue Clermont, pour partager ensemble, ma cousine et moi, l’émoi de voir sous nos yeux le génie artistique d’un grand créateur.

R.I.P. Michael!