30.1.09

Visiting Gisèle

La saison hiver-printemps 2009 est déjà bien entamée, les projets se sont finalement mis sur pied, les contrats sont bouclés : ce sera une saison d’écriture.

Entamée lors du camp de création Entr’arts 2007 (www.rafa-alberta.ca/entrarts), l’écriture de ma prochaine pièce de théâtre est maintenant réellement démarrée. Avec l’appui de l’UniThéâtre, qui devrait mettre en oeuvre une semaine d’atelier de mise en lecture avec comédiens à l’automne prochain, je passerai donc les prochains mois à bosser sur « Simone ». Titre de travail déjà très dépassé, mais qui traduit la source initiale d’inspiration, Simone de Beauvoir. En fait, mes personnages sont plutôt des ‘wannabe’ existentialistes, deux profs d’université frôlant la quarantaine et qui ont conclu un pacte ressemblant étrangement à celui du Castor et de Sartre : union libre, transparence, l’œuvre avant tout. Mais quelle œuvre, et quelle liberté? Une espèce de huis clos sur ces intellectuels désengagés de tout, entre l’université et le Café de Flo, ils croient faire avancer le monde par leur façon de le voir et surtout de le critiquer…

Pour me pousser à respecter mes échéanciers et pour me botter les fesses, si nécessaire, et aussi parce que nous faisons ainsi un échange de services, j’ai demandé à l’écrivaine Gisèle Villeneuve de Calgary d’être ma conseillère dramaturgique. Nous siégeons toutes les deux sur le conseil d’administration du RAFA et nous avons ainsi découvert des affinités, personnelles et professionnelles.

Gisèle a publié un roman en 2005, Visiting Elizabeth, que j’ai dévoré à grosses bouchées. Écrit en anglais mais truffé de français, son roman nous fait entendre la voix d’Ariane Claude, montréalaise de 19 ans qui découvre sa vocation grâce à sa rencontre d’une photographe anglophone, Elizabeth. Avec comme toile de fond le gros party qui a commencé avec Expo 67 et s’est poursuivi jusqu’à la fin des années 60, Ariane s’ouvre au monde tout comme le Québec le faisait enfin à cette époque.

Quand j’ai lu Visiting Elizabeth, j’ai tout de suite entendu la voix d’Ariane, et j’ai vu tout le potentiel théâtral du roman. Gisèle avait depuis longtemps la même impression et nous avons décidé de travailler ensemble pour le transposer à la scène. Voilà pourquoi, une fois par mois, à partir de cette semaine, je prendrai la route vers le sud, pour aller… visiter Gisèle.

13.1.09

Des bleuets en janvier

Mercredi de janvier
14h28
New York Bagel Café


Journée perdue, journée mosaïque, journée d’éparpillement dans les lectures éparses et les téléphones et les paperasses administratives…. J’ai failli passer le cap de mon heure de départ habituelle et rebrousser le chemin pas même encore entamé. Mais je suis sortie quand même, pas loin, choisissant le New York Bagel Café pour sa proximité pratique par le froid imposé, me disant que l’endroit, toujours déserté en semaine, saurait m’accueillir et m’inspirer. Et bien, c’est bondé, voilà ce que c’est, et par des gens que je connais, une collègue d’un cercle d’écriture en tête à tête avec un ami, et des metteurs en scène renommés, déjà rencontrés dans des contextes théâtreux, et leurs voix portent et leurs rires résonnent dans le Café.

Heureusement, Grabriella, toujours souriante, devine ma commande d’espresso et je prends place pour travailler, dans le brouhaha des dames qui dînent et des artistes qui réunionnent. Georges Brassens chante dans les haut-parleurs, le ciel est gris, je me prépare en lecture et en étirements à l’atelier du week-end, Thérèse Bertherat me donne envie de danser et de bouger, mais la neige et le froid et la sensation d’enfermement me tenaillent. Alors je babille et je gesticule, je suis en ébullition de mots et d’idées et de nerfs à vif, pourtant je dors bien et je n’ai pas de raison de me perdre dans une vague de stress.

Mais les jours passent vite et j’ai presque 36 ans, les bureaucraties et les papiers des choses à remplir et imaginez si j’avais de l’argent et des investissements à faire et à gérer, parfois je me sens comme une adolescente dans un monde de chiffres trop lourd et trop compliqué, même si j’ai jadis été bonne en mathématiques. Je ne sais plus compter, je n’ai plus envie de compter alors je préfère rester adolescente pour ne pas accumuler les chiffres et les possessions bancaires et bancales.

Les directors parlent encore, l’un d’eux vient me dire salut après avoir été payer l’addition à Gabriella. On se donne des nouvelles, on se souhaite l’année bonne, on jase d’une amie en commun, il me dit que je ne vieillis pas, je trouve ça drôle, surtout quand moi je me sens vieillir à vue d’œil, à sensation interne. Les théâtreux parfois m’intimident, quoi dire, dans le small talk du monde entier, le maudit small small talk talk des gens qui se connaissent, mais pas vraiment au fond, qui se connaissent de loin, alors qui ne savent pas quoi se dire…. Alors on rit et je suis contente de ça, parce que ça, je sais faire, dire des niaiseries et rire et parfois même faire rire, quand je peux.


J’aime habituellement m’isoler dans le bruit des machines à espresso et des babillages des gens, je n’entends plus rien, et je me concentre, j’entre dans mon écriture. Mais autour de moi, beaucoup trop de conversations menées par des voix que je connais, de gens que je connais un peu, et je ne peux plus entrer en moi, alors je blablabla dans ce journal pour faire comme si je travaillais, je ne peux pas lire non plus, alors je souhaiterais qu’ils finissent leur repas ou leur café et se lèvent et partent, puisque moi, je pourrais toujours partir, mais à quoi bon, je viens de boire mon espresso, si je pars, je ne vais pas aller m’installer dans un autre pour doubler la dose de caféine et grimper dans les rideaux, c’est Ella Fitsgerald qui chante maintenant, fort fort, tellement fort, et toutes les autres voix...

AHAHHHH, j’ai mon iPod! Alors je le mets sur mes oreilles et je sais que je vais me rendre sourde ou épuisée à la fin de cet après-midi de travail… de fou, de folie, d’émotions à fleur de peau.

Car je savais que je n’allais pas beaucoup écrire, je le sentais en partant, mais je me disais, je vais lire, j’ai même apporté DEUX livres, le Castor de guerre et Le corps a ses raisons de Bertherat, mais je ne pourrais pas lire dans cette cacophonie.



15h44
Tout le monde est parti sauf Gabriella, bien sûr, et un jeune homme très grand qui sent la marijuana à plein nez.

J’ai enlevé mon iPod de mes oreilles et je me lance. Faut bien travailler un peu et cesser de perdre mon temps dans ce journal.


Ah. Le silence est revenu. Il neige à gros flocons.





ndlr: le titre? rien à voir avec rien.