21.2.07

Joni et Frida

J’ai toujours eu une admiration et un intérêt plus marqués pour les femmes artistes que pour les artistes masculins. Peut-être parce qu’elles sont plus rares. Pas qu’il y ait moins de femmes qui soient des artistes, mais il est plus rare qu’une femme réussisse à mener sa vie d’artiste, comme le ferait un homme. Le mariage, la maternité, le sexisme d’une autre époque et ses résidus dans nos mondes contemporains, plusieurs facteurs externes influencent la carrière d’une femme artiste. Je suis heureuse de voir qu'on rend hommage aujourd'hui à celles qui se sont accomplies, comme femme, amoureuse et artiste.


L’artiste torturée.

Je suis allée voir la pièce Frida K. de Gloria Montero, présentée au Citadel jusqu’au 25 février. Wow.

J’aime la conclusion de ce long monologue de Frida, à la veille de sa première exposition au Mexique, peu de temps avant sa mort, à 47 ans. Après avoir peint toute sa vie pour oublier sa douleur physique et amoureuse, Frida Kahlo se demande : si je n’avais pas eu la polio quand j’étais petite et comme résultat cette jambe toute rabougrie, si je n’avais pas subi cet accident d’autobus qui m’a cassée en morceaux et empêché d’avoir des enfants, est-ce que j’aurais eu ce besoin de peindre?



Frida avait une volonté de vivre et un appétit pour le bonheur qui faisaient d’elle une amante dévouée et aurait fait d’elle une mère tout aussi généreuse. Même en santé, je crois qu’elle aurait donné un sens artistique à sa vie. Qui sait si elle se serait mariée à Diego Rivera, peut-être qu’elle ne se serait pas ralliée au mouvement communiste et qu’elle n’aurait pas couché avec Trostky, mais je suis persuadée qu’elle aurait tout de même trouvé dans l’art une façon de défier la vie.



L’artiste engagée

Tout d’abord étudiante en beaux-arts, Joni Mitchell a gratté la guitare et écrit des chansons pour le plaisir. Malgré elle, une carrière d’auteure-compositeure s’est imposée et elle a vécu tous les grands moments musicaux de l’époque hippie. Ses chansons folk et intimistes restent dans la tête et font vibrer les cordes sensibles de bien des gens. Puis les années 80 sont arrivées et, comme tous les autres musiciens de sa génération, le son de sa musique a changé, sa voix aussi, devenue très grave à cause des deux paquets par jour fumés sans culpabilité. De toutes façons, Joni n’a jamais arrêté de peindre, alors elle a arrêté de faire des albums et… elle a peint.



J’ai découvert Joni Mitchell sur le tard, par l’entremise d’un ami chansonnier qui m’avait fait un tape s’ouvrant avec l’album Blue. Et je n’ai plus jamais arrêté d’écouter cet album (j’ai acheté le CD deux fois depuis la cassette qui a fini par mourir de sa belle mort). A case of you. California. Carey. River... Puis j’ai acheté d’autres albums et j’ai chanté

And the seasons they go round and round
And the painted ponies go up and down
We're captive on the carousel of time
We can't return we can only look
Behind from where we came
And go round and round and round
In the circle game

J’ai toujours eu une petite faiblesse pour "l'hippitude". Alors Joni Mitchell est devenue pour moi une des plus grandes parmi les grandes.

Quand j’ai appris, il y a un an, que le talentueux chorégraphe de l’Alberta Ballet, Jean Grand-Maître, allait créer un spectacle sur l’œuvre de Joni, j’étais vendue d’avance. Alors samedi passé, j’ai vu Dancing Joni.

Comme bien des gens, même si la plupart n’ose pas le dire, j’ai été un peu déçue du résultat.

On aime Joni pour ses chansons intimistes, sa voix particulière imbibée d’intériorité, la guitare qui résonne jusqu’à l’âme et le piano qui nous fait glisser sur les mélodies géniales. Oui, bien sûr, on a bien aimé Yellow Taxi pour son côté catchy et pour le message, mais pour un ballet, on veut que Joni nous parle des méandres houleux des relations personnelles, de la vie d’artiste, des voyages et du monde qui tourne et tourne…

Mais Joni ne le voyait pas ainsi. Je la comprends, elle est toujours vivante et toujours artiste, pas question qu’on fasse une œuvre récapitulatrice de son époque glorifiée. Et puis, Joni n’a plus 20 ans, ni 30, ni même 50, elle est au-dessus des relations interpersonnelles à démystifier. Il n’y a plus qu’un sujet qui la touche et qui ne peut attendre (et, encore une fois, je lui donne tout à fait raison) : le sort de notre planète.

Elle rencontre Grand-Maître à Los Angeles et lui donne le choix de 15 chansons, la plupart issues d’un album plutôt mal reçu par la critique et le public dans les années 80, Dog Eat Dog. Grand-Maître en choisit neuf et doit faire avec. De plus, comme Joni travaille justement sur des installations multimédias inspirées d’images de guerre qu’elle a captées sur un vieux téléviseur et transformées en vert et rose, elle propose de s’occuper des projections durant le spectacle.

Jusque-là, la recette semble avoir tout pour prendre. Et le mélange prend, mais seulement jusqu’à un certain point. Je lève mon chapeau à Jean Grand-Maître. Je n’ai rien à redire sur ses chorégraphies et sa mise en scène. Les danseurs, ces « athlètes de Dieu », offrent une performance à la hauteur de leur mandat et les numéros où ils se retrouvent tous en même temps sur la scène amènent le niveau d’énergie et d’émotions à son paroxysme.

Mais j’ai mes critiques à l’égard des choix de Joni Mitchell. Premièrement, la plupart des chansons du spectacle ont un son années 80 tout à fait rebutant. Elles se ressemblent d’ailleurs un peu trop pour faire avancer le ‘récit’ du spectacle. Comme ce sont des chansons peu connues, le spectateur doit déchiffrer les paroles, tout en essayant de saisir l’abstraction des projections qui, esthétiquement, n’apportent rien de nouveau en plus d’être souvent redondantes, sans oublier de suivre les danseurs pour apprécier la beauté et le sens de la chorégraphie. Peut-être ai-je une approche trop cérébrale du spectacle, mais je sentais qu’on nous lançait dans toutes les directions. La preuve, dans un morceau plus lent avec comme seule projection un ciel étoilé et une lune dont on s’éloigne lentement, on se laissait tout naturellement embarqué et émerveillé par l’ensemble de l’oeuvre.

Pour la metteure en scène en moi, les morceaux les plus percutants sont en somme ceux qui regroupent tous les danseurs dans un grand mouvement de foule, avec des cris et des expressions plus personnalisés de leur part. L’intro, donc, avec ses soldats qui tombent un à un, et la finale, où on laisse place à l’espoir, avec cette adorable petite ballerine de 3-4 ans qui décide de ne pas courir, mais de prendre le temps de vivre… et de danser.



Je pense que Joni Mitchell aurait pu imposer sa thématique environnementale tout en faisant plus confiance aux choix artistiques de Jean Grand-Maître. En mettant côte à côté de grands moments de la chanson canadienne et des morceaux à message un peu moins connus, le spectacle aurait pu entrer dans les annales de mes meilleurs spectacles à vie.

Aucun commentaire: