22.11.06

Le high de tuer

Samedi soir, nous sommes revenus à pied du party de chez Mitch Fournier. Renée, Seb et moi, un peu buzzés par cette merveilleuse soirée, nous avons pensé que la marche nous ferait du bien et nous aiderait à dormir. Il était 1 heure du matin, quelque chose comme ça, et une fois le ravin traversé, nous avons été surpris de voir et d’entendre au-dessus de nos têtes un hélicoptère. Un hélicoptère qui volait bas et parcourait le sol de son faisceau lumineux. On se serait cru à Los Angeles, surveillés par des hélicos de la police. Nous avons justement discuté de la plus récente statistique : Edmonton remporte la première place au niveau de la criminalité au Canada. Principalement à cause des gangs de rue, dit-on. Rarement de « random acts of violence ». Rarement, ouais.

Je vis ici depuis plus de 12 ans. Jamais je n’ai eu peur en sortant d’un bar le soir, jamais je n’ai eu peur en marchant seule la nuit dans les rues. Je me suis toujours sentie en sécurité dans ma ville d’adoption.

Et bien, cet hélicoptère qui nous survolait dans la nuit de samedi à dimanche présageait un week-end sanglant. Sept incidents d’agressions au couteau, dont deux ont fait des victimes, ont pris place à Edmonton en fin de semaine. Toutes étaient sans motif réel de la part des agresseurs.

L’une des victimes est un jeune homme de 17 ans, Evan Grykuliak (étudiant à l’école Ross Shepard où enseigne mon frère Éric). Samedi soir, il fêtait son anniversaire avec ses amis dans un centre communautaire loué pour cette occasion. Son père et plusieurs adultes supervisaient la soirée. Des jeunes ont essayé de ‘crasher’ la fête, assez tard, une fois que celle-ci était terminée. On leur a refusé l’entrée. Ils sont restés à l’extérieur, mais quand Evan est sorti pour aller reconduire une amie jusqu’à son taxi, il a été confronté aux jeunes trouble-fête qui finalement l’ont poignardé. À mort.

Un autre cas dont l’issue fut également fatale, sur la Whyte Avenue cette fois, ma chère avenue adorée qui change terriblement de visage la nuit depuis quelques années. Un jeune homme de 20 ans, accompagné de sa copine enceinte et de leurs amis ont rencontré un autre groupe de jeunes, ils se sont engueulés, la pagaille a pris, et les couteaux sont sortis. C’est une fois à l’hôpital que le jeune homme est mort.

Les autres agressions, toutes impliquant beaucoup d’alcool et des couteaux, ont fait des blessés. Mais chaque fois, les motifs étaient futiles. Ni pour de l’argent, ni pour voler, ni pour se venger. Pour se battre, uniquement.

Les psychologues parlent du « high de tuer ». Les jeunes feraient ces actes afin de se donner un rush d’adrénaline.

Dans mon jeune temps, sur la Whyte, les joueurs de football et les chauffeurs de pick-up buvaient comme des trous et finissaient par se bagarrer entre eux. Avec leurs poings. Maintenant, les jeunes sont pétés sur l'alcool ET les produits chimiques et quand ils sortent des bars aux petites heures du matin, ils ne sont plus mous et zigzagants, ils sont gonflés à bloc, tendus, électrifiés, les nerfs à vif, et ils cherchent peut-être un moyen de rester buzzé en se prenant pour un héros de jeu-vidéo ou peut-être qu'ils cherchent un moyen de redescendre, comme si tuer un être humain allait les reconnecter avec la réalité.


Ça m’inquiète. Ça m’inquiète vraiment. Les jeunes ne vont pas bien. Quand ce ne sont pas les fusillades dans les écoles ou l’intimidation excessive qui poussent certains jeunes au suicide, ce sont les attaques aux couteaux en pleine rue, sur n’importe qui. À Edmonton, les crimes parmi les jeunes se sont multipliés depuis quelque temps. Il y a eu le meurtre à coup de batte de baseball dans un autobus de la ville. Il y a eu l’autre jeune tué dans un party de maison l’an passé par des « amis », des jeunes qu’ils connaissaient.

Qu’est-ce qui se passe chez nos ados et nos jeunes adultes? Certains blâment les jeux vidéos dont les graphiques sont devenus si réalistes maintenant que les jeunes, voulant monter d’un cran leur dose d’adrénaline, passent à l’étape logique : tuer pour de vrai. D’autres pointent du doigt le manque d’encadrement des parents qui travaillent trop et laissent leurs enfants à eux-mêmes. Le manque de valeurs humaines, l’individualisme, le désespoir face à un monde où rien ne leur est légué sauf une planète à bout de souffle. J’imagine qu’il y a un peu de tout ça.

L’adolescence et l’étape de l’école secondaire ont toujours été un moment difficile à passer. Mais on dirait que maintenant, c’est pire qu’une jungle. Chacun doit devenir le prédateur de l’autre, chacun doit jouer au plus fort, écraser l’autre pour se donner un droit d’exister.

La souffrance des ados est immense. Je regardais Oprah il y a deux semaines. Elle présentait une initiative prise par une Américaine et son mari et qui parcourent maintenant les high schools. L’activité s’appelle le Challenge Day et met en scène les jeunes de l’école, généralement les plus âgés, entre 15 et 18 ans. Réunis dans le gymnase, les jeunes sont appelés à parler d’eux, de leur vie personnelle, en petits groupes. « Si vous me connaissiez vraiment, vous sauriez que… » Les révélations coulent, une à une. « Vous sauriez que ma mère est en phase terminale. » « Vous sauriez que j’ai été violée par mon voisin quand j’avais 8 ans. » « Vous sauriez que je dois travailler 30 heures par semaine pour aider ma famille à se nourrir ». « Vous sauriez que je suis une bonne personne, même si je suis gros ».

Ensuite, l’animatrice de l’activité invite tous ceux qui vivent une discrimination quelconque (la race, l’apparence physique, la classe sociale, la religion, l’orientation sexuelle, etc) à traverser une ligne imaginaire sous les yeux de leurs compagnons. « Traversez la ligne... tous ceux qui se sentent ignorés, rejetés, méprisés par d’autres étudiants de cette école », traversez la ligne, tous ceux qui ont déjà été humiliés, rejetés, à cause de leurs races », « traversez la ligne, tous ceux qui ont déjà été pointés du doigt à cause de leurs religions », « je demande à toutes les filles qui ont déjà été appelées bitch, pute, whore, etc, toutes celles qui se sont fait siffler, pincer les fesses, abusées sexuellement ou verbalement, de traverser la ligne »… Et les jeunes regardent leurs camarades, leurs meilleurs amis tout autant que ceux qu’ils ignorent avec soin quotidiennement, avouer leurs souffrances. De partout fusent des mains levées vers le ciel, l'index, le petit doigt et le pouce ouverts, pour leur dire « I love you ». Les élèves pleurent, les professeurs participant à l’atelier pleurent eux aussi. La psychologue de l’école, la première, prend le micro vers la fin de la journée, en larmes, pour s’excuser envers tous les élèves : « si jamais je vous ai ignorés, humiliés ou si je vous ai fait de la peine d’une quelconque façon, je vous demande pardon et je vous veux dire que vous êtes tous et chacun uniques et merveilleux ». Par ce geste, un miracle, un moment magique est déclenché : tour à tour, les jocks, les bullies, tous ces jeunes qui ont pu faire du mal aux autres font la file au micro pour demander pardon à leurs victimes. Celles-ci les rejoignent pour leur pardonner, leur donner une accolade qui souvent se termine de nouveau dans les larmes, avec toutes les mains des autres levées en signe d’I LOVE YOU.

À la fin de la journée, plusieurs jeunes qui ne s’étaient jamais adressé la parole auparavant dialoguent et se sourient. Des ennemis ont maintenant entamé une réconciliation, peut-être même une amitié. Pour une journée au moins, les étiquettes sont tombées.


Notre société en général aurait bien besoin d’un CHALLENGE DAY.

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