Déménager. Déménager pour aller vers l'Est,
inévitablement, pour nous rapprocher de nos familles et nous permettre de
voyager ailleurs qu'au Québec ou en France lorsque nous avons quelques
économies et quelques jours de vacances. Mettre le cap vers l'Est, mais pour se
poser où, exactement? Comme il était hors de question de rester dans les prairies
(peu intéressés à changer "quatre trente-sous pour une piasse") et
qu'Ottawa ne nous disait rien, Toronto s'est retrouvée pendant un moment au top
de notre liste. Toronto, la mal-aimée. Un peu comme Edmonton. Tout le monde
déteste Edmonton. Surtout ceux qui n'y ont jamais mis les pieds. Tout le monde
déteste Toronto. Tout le monde, sauf ceux qui y vivent. Des villes qu'on adore
haïr, qu'on sous-estime, qu'on connaît mal. C'est peut-être pour ces raisons
que nous sentions naître quelques affinités avec la Ville Reine.
Elle répondait aussi à notre besoin de dépaysement,
notre soif de la grande ville. Toronto. Le New York du Canada. Une métropole
vibrante. Un pôle culturel. Un bassin artistique. Une ville en pleine
effervescence. Et une excellente plaque tournante pour les voyages. Toronto... Oui...?
Mais... non. Car j'ai dû me rendre à l'évidence
et reconnaître une de mes plus grandes contradictions. J'aime vivre dans un
endroit où j'ai le sentiment d'être en voyage mais pour gagner ma vie, il faut
que je puisse vivre en français.
Je suis un être d'expression. Je dois exprimer
qui je suis pour garder mon équilibre. J'ai mis du temps à le comprendre, mais maintenant
je ne peux plus faire autrement. Écrire, raconter, parler, interpréter, chanter,
faire rire. Grâce aux mots. Grâce au langage. Je suis un être d'expression...
française. Je suis viscéralement et immanquablement liée à ma langue maternelle.
C'est mon identité, c'est ma culture, c'est mon mode de vie. Et de survie.
Voilà pourquoi j'ai été parfaitement heureuse
pendant si longtemps, ici, à Edmonton. J'ai pu vivre et travailler et
m'épanouir en français. Animation culturelle, arts de la scène, écriture, événements,
rassemblements, communauté et politique, amours et amitiés. En français. Dans
un milieu minoritaire. Menacé. Précaire. Francophone minoritaire. Ça a été ma
passion, ça a été ma cause. Missionnaire du fait français?
J'ai trouvé ma raison d'être dans la petite
île de la francophonie albertaine. Une île accueillante, généreuse. Une île
toujours en train de changer de forme. Une île qui s'adapte comme elle peut. Mais
sur une île, après un moment, il arrive qu'on tourne en rond. Ou qu'on fasse du
sur place.
Alors j'ai envie de plonger et de patauger
dans une mer de francophones, j'ai besoin de prendre un grand bain de culture,
au risque de partir à la dérive.
Je vous mentirais si je vous disais que je ne
rêve pas de faire la grande traversée. De vivre en Europe. Avec mon Breton de
mari, nous savons qu'un jour nous ferons un séjour prolongé de l'autre côté de
l'Atlantique. Mais ce moment n'est pas encore venu.
Nous ne déménageons donc pas à Toronto. Pour
le moment, nous allons faire le crawl
jusqu'à Montreal.
Oui, je sais. Les missionnaires du fait
français ne chôment pas à Montréal. Je m'apprête donc à flotter d'une île
à une autre.